Mediator : une si longue histoire

Mercredi sort en salles « La Fille de Brest », sur le combat du docteur Irène Frachon, qui a dénoncé les ravages du Mediator, des laboratoires Servier, responsable de plus de 1 500 morts et de nombreux malades… Aujourd’hui, 30 personnes sont mises en examen, Jacques Servier est mort en 2014, mais Irène Frachon ne lâche rien.

« J’ai vécu cette histoire comme un thriller », lâche #IrèneFrachon avant d’éclater de rire. Ça tombe bien, La Fille de Brest sort mercredi au cinéma. Le film d’#EmmanuelleBercot raconte le combat de la #pneumologue pour dénoncer les effets mortels du #Mediator, médicament destiné aux diabétiques en surpoids et largement prescrit comme coupe-faim. Utilisé par 5 millions de personnes en France, remboursé au taux maximal par la Sécurité sociale, le médicament des laboratoires #Servier est à l’origine de plus de 1 500 morts et de nombreux malades, selon des experts mandatés dans le cadre de la procédure.« Il y a des reconstructions mais le film a un vrai souci d’authenticité, de crédibilité, tout est vrai », indique la médecin brestoise… Jusqu’à la petite croix huguenote en or que Sidse Babett Knudsen, l’héroïne danoise de   « Borgen » qui incarne le personnage d’Irène Frachon, arbore tout au long du film. Emmanuelle Bercot a filmé dans le bureau même de la pneumologue, joyeux capharnaüm encombré de cartons, au CHU de Brest. Et il faut avoir le coeur bien accroché, quand on n’est pas chirurgien, devant les séances d’opération à coeur ouvert et les autopsies, pour regarder la peau que l’on soulève, la graisse blanche qui se décolle, les tissus adipeux qui se vident de leur sang, les os qui craquent sous la pince qui les dissèque comme pour mieux montrer les ravages organiques, physiques, causés par le Mediator. « Un médicament qui atteint les valves cardiaques, cela reste très abstrait. Je voulais que le spectateur puisse visualiser et ressentir ce que ce médicament a provoqué dans la chair de certaines personnes. C’est une manière de faire exister les victimes », explique Emmanuelle Bercot. Le film est ravageur pour les laboratoires Servier, dont les représentants sont dépeints comme arrogants, indifférents à la douleur des malades.

Alors on a téléphoné à Irène Frachon pour parler de cette sortie cinématographique, savoir ce qu’elle ressentait maintenant que le Mediator est interdit et Jacques Servier mort. Elle nous a rappelé à 21 h 30, après avoir dîné en famille. On n’a raccroché que deux heures plus tard, emportée par l’énergie volubile de cette « fille de Brest ». Les laboratoires Servier sont loin d’en avoir fini avec Irène Frachon. Le Mediator est devenu le combat de sa vie, la bataille pour Servier ne fait que commencer. Elle ne lâchera jamais, solide et rugueuse comme les côtes de granit de son Finistère. « Je suis née deux fois, dit-elle. La première fois du ventre de ma mère, et la seconde de l’affaire du Mediator. »

 

Un coupe-faim aux conséquences mortelles

C’est en 2007 que la pneumologue commence à avoir de sérieux soupçons. Une de ses patientes souffre d’une maladie grave et rare, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Elle a absorbé pendant dix ans un médicament « miracle », censé la faire maigrir : le Mediator. Or, quelques années auparavant, Irène Frachon avait travaillé dans le service de pneumologie d’un hôpital parisien. Elle y avait vu des patients mourir de cette maladie violente. À cette époque, un médicament avait été pointé du doigt comme étant à l’origine de cette défaillance pulmonaire mortelle : l’Isoméride. « La molécule du Mediator, le benfluorex, appartient à la même famille chimique que l’Isoméride (fenfluramine) qui, après absorption, se transforme dans l’organisme en une substance appelée la norfenfluramine. C’est cette substance qui coupe la faim, mais c’est elle aussi qui endommage les valves cardiaques qui se mettent à fuir… Bref les malades se noient dans leur propre sang », résume avec son franc-parler Irène Frachon. Merci pour la consultation. En 1997, l’Isoméride est retiré du marché, mais, en 2007, Irène Frachon suspecte que le Mediator en vente depuis 1976 est proche de l’Isoméride et peut provoquer de graves lésions sur le coeur (valvulopathie) ou les poumons (hypertension artérielle pulmonaire). Servier nie toute proximité chimique entre les deux médicaments. Le combat commence. Il sera de longue haleine.

« À partir de cette époque j’ai eu l’impression d’être plongée dans un polar », répète la pneumologue. En 2009, avec des confrères cardiologues, « la fille de Brest » commence donc à mener une véritable enquête policière pour prouver que le médicament est… un poison. « Je n’arrivais pas à croire que ces gens-là (Servier, NDLR) aient continué à vendre en connaissance cause un poison mortel, c’était de la mort-aux-rats ! » s’exclame-t-elle, encore accusatrice. On connaît la suite, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) qu’il faut convaincre encore et encore, malgré les alertes, le Mediator finalement retiré du marché en novembre 2009, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) accablant pour Servier, et le système de santé français « roulé dans la farine » qui dénonce « la stratégie des laboratoires Servier qui, pendant trente-cinq ans, sont intervenus sans relâche auprès des acteurs de la chaîne du médicament pour pouvoir poursuivre la commercialisation du Mediator et pour en obtenir la reconnaissance en qualité de médicament antidiabétique ». Mais Irène Frachon continue de se battre : « Tout mon temps est consacré à la défense des victimes du Mediator. » La pneumologue est toujours en poste au CHU de Brest, même si la lanceuse d’alerte contre un système « rongé par les conflits d’intérêts » eût peut-être préféré s’en retourner à une vie de médecin plus tranquille. Au moins peut-elle compter sur sa famille très unie – ses quatre enfants et son mari.

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Valerie de Senneville  |

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