Edward Snowden, la grâce présidentielle et le débat sur le statut de « traître »

Depuis qu’il a contribué à révéler en 2013 l’existence d’un système de surveillance mondiale des communications électroniques et d’Internet, Edward Snowden vit en Russie. Les Etats-Unis ont annulé son passeport, l’obligeant à l’exil, et comptent toujours le poursuivre pour espionnage. S’il revient un jour, il risquera jusqu’à 30 ans de prison.

Une pétition a été lancée mardi 13 septembre par trois ONG, avec le soutien d’activistes, d’acteurs et d’hommes politiques, pour demander au président américain Barack Obama de pardonner à #EdwardSnowden avant de quitter ses fonctions (Hillary Clinton et Donald Trump ont déjà dit qu’ils ne le feraient pas).

L’action s’inscrit dans une campagne plus large de soutien à Edward Snowden – son histoire est racontée au cinéma dans le prochain film d’Oliver Stone – alors que son futur est incertain, son permis de séjour russe arrivant à expiration en 2017. Sur le site #PardonSnowden.org, un compte à rebours est là pour le rappeler.

Le débat sur Edward Snowden, sur les raisons qui l’ont poussé à agir, sur la façon dont il l’a fait et sur les conséquences de ses actes, a commencé au moment même où les premiers documents secrets de l’Agence nationale de sécurité (#NSA ) étaient rendus publics par le #Guardian et le Washington Post.

Trois ans après, les positions défendues par les uns et les autres n’ont que très peu évolué, malgré l’impact incontestable qu’ont eu ces #révélations sur le rapport du grand public à la #surveillancedemasse et la législation qui encadre ces pratiques. Au cœur des discussions, l’opposition est toujours la même : l’ex-contractuel de la NSA est-il un #héros pour avoir court-circuité sa hiérarchie et révélé des documents d’utilité publique, ou est-il un #traître envers son pays pour avoir diffusé des #informationsconfidentielles qui n’auraient jamais dû l’être ?

« Responsabilité criminelle » vs hypocrisie éditoriale

Le #WashingtonPost a été, comme il l’a lui-même annoncé, « à la pointe » de ce scoop en 2013. Sa rédaction a eu accès, avec #TheGuardian et, plus tard, #TheIntercept, aux documents de #Snowden. Cela lui a valu un prix Pulitzer, partagé avec le Guardian, pour « service d’intérêt public » en 2014.

Dans le débat relancé sur le rôle et le futur de M. Snowden, ces publications, ainsi que le New York Times et bien d’autres, ont demandé la grâce présidentielle pour permettre à Edward Snowden de revenir aux Etats-Unis. Sauf le Washington Post, ou plus précisément son comité éditorial qui, dans un texte publié le 17 septembre, demande qu’il soit poursuivi. Qu’un journal jette ainsi sa propre #source en #pâture, publiquement, peut sembler contradictoire, voire aberrant.

  • Les arguments des éditorialistes du « Washington Post ». 

« Pas de pardon pour Snowden. » Le titre de l’éditorial ne souffre d’aucune ambiguïté. Constatant qu’il n’y a aucune possibilité de concessions entre M. Snowden, pour qu’il « accepte une mesure de responsabilité criminelle pour ses excès », et le gouvernement fédéral, pour qu’il « considère une certaine clémence au vu de ses contributions », ses auteurs optent pour le statu quo : « Un pardon absolu ne serait pas équilibré. »

Edward Snowden, qui ne mérite pas le statut de « #lanceurdalerte » puisqu’il est entre guillemets, « a violé la loi » en « copiant 1,5 million de documents classés secret » (le chiffre est disputé par ses avocats et la communauté du renseignement). Certaines informations contenues dans les documents ont mis en danger « des opérations de renseignements internationales défendables » et des programmes de surveillance, comme #Prism, « clairement légaux et ne représentant pas une menace claire de la vie privée ».

Autres arguments : M. Snowden s’est réfugié en #Russie, « mettant à mal sa crédibilité en tant qu’avatar de la liberté », alors qu’il devrait rentrer aux Etats-Unis faire face aux conséquences de ses actes « dans la meilleure tradition de la désobéissance civile ».

  • Attitude de « lâche » et autres mises au point médiatiques

La prise de position a fait beaucoup de bruit et suscité une énorme incompréhension, d’abord au sein même de la rédaction du Washington Post. Si les éditorialistes sont séparés du reste de la rédaction, il est presque inédit que les premiers mettent en cause le travail des autres. Barton Gellman, collaborateur du Washington Post et un des quatre journalistes à avoir eu un accès direct aux documents – avec Glenn Greenwald, Laura Poitras et Ewen MacAskill –, a écrit que « les pages d’opinion n’ont pas leur mot à dire sur l’actualité, et ils ont montré pourquoi (…) les journalistes du WP sont fiers de leurs rôles ».

Comme beaucoup de médias, mais avec un peu plus de férocité, #GlennGreenwald a démonté, dans The Intercept, les arguments et critiqué l’attitude « lâche » et l’#hypocrisie des éditorialistes washingtoniens :

« Ce qu’ils ont omis de préciser, c’est que ce n’était pas Edward Snowden, mais leurs propres rédacteurs en chef qui ont décidé de révéler l’existence de ces programmes (…) Snowden lui-même n’a eu aucun rôle dans la décision d’exposer tel ou tel programme, à part fournir les documents aux journaux. Il ne se sentait pas capable de faire de tels choix journalistiques. »

« Ils devraient au moins avoir le courage d’admettre que c’est le Washington Post – et pas Edward Snowden – qui a pris la décision éditoriale et institutionnelle de rendre publics ces programmes » qualifiés de « clairement légaux » ,comme Prism, écrit encore M. Greenwald. La logique voudrait qu’au lieu d’accabler M. Snowden, ils présentent leurs excuses à leurs lecteurs et rendent leur prix Pulitzer.

Sur l’accusation « persistante » de collusion avec la Russie de Vladimir Poutine, le Guardian rappelle que si Edward Snowden est en Russie, c’est uniquement de la faute des Etats-Unis, qui ont annulé son passeport alors qu’il était en transit vers l’Amérique du Sud après avoir fait des demandes d’asile dans tous les pays d’Europe, y compris la France, qui a refusé.

Un « contre-récit » pour présenter Snowden comme un « traître »

Quant à l’idée d’apparaître devant la justice américaine, l’argument des avocats de M. Snowden, repris par le New York Times, est de dire qu’il serait jugé en tant qu’#espion, selon une loi dépassée datant de 1917, époque où le statut de #lanceurdalerte n’existait pas. Edward Snowden serait jugé pour ses actes, sans que les conséquences positives de ces actes ne soient prises en compte par le jury.

Or, « l’énorme valeur des révélations de M. Snowden est certaine », écrit le New York Times – « une hausse spectaculaire de la prise de conscience des risques liés à notre vie privée »« le grand public s’est mobilisé pour sa vie privée »« les entreprises l’ont pris en compte dans les plates-formes les plus fréquentées » –, alors que les préjudices qu’elles ont provoqués n’ont été étayés que par « des preuves insuffisantes ». 

Pour Barton Gellman, ce n’est pas un hasard si un document tentant de discréditer Edward Snowden en étayant les « dégâts » supposés provoqués par les fuites a été publié mi-septembre. Un rapport du Congrès présente M. Snowden comme un « employé mécontent », un « traître qui a volontairement trahi ses collègues et son pays [et] mis en danger les Américains ». Il lui refuse le statut de lanceur d’alerte car il n’aurait pas essayé de prévenir ses supérieurs par les canaux légaux – ce qui aurait été impossible, voire suicidaire, selon le journaliste Mark Hertsgaard.

Ce rapport, « inégal, incurieux et dédaigneux des faits », sert avant tout, selon le journaliste, « à créer un contre-récit », au moment où commence la mobilisation pour qu’Edward Snowden obtienne une #grâce. Le document était en préparation depuis deux ans. Il a été rendu public le 15 septembre, soit deux jours après la demande de grâce présidentielle faite dans une vidéo par Edward Snowden, et la veille de la sortie du film d’Oliver Stone dans les cinémas américains.

Par Luc Vinogradoff – LE MONDE |  
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