Procès LuxLeaks : les lanceurs d’alerte reconnus coupables et condamnés à du sursis

La justice du Luxembourg a tranché ce 29 juin 2016, les deux lanceurs d’alerte, qui ont permis de mettre jour le scandale fiscal des LuxLeaks, ont été condamnés à des peines légères. Le journaliste de “Cash Investigation” poursuivi, a lui été acquitté.

Le droit luxembourgeois est-il soluble dans l’optimisation fiscale ? Ce mercredi 29 juin 2016, le tribunal correctionnel du Grand-Duché rendra son verdict dans le procès LuxLeaks, ce scandale fiscal qui a éclaboussé plus de 300 entreprises entre 2012 et 2014. Mi-mai, le parquet a réclamé dix-huit mois de prison contre Antoine Deltour et Raphaël Halet, les deux lanceurs d’alerte à l’origine de l’affaire, ainsi qu’une amende contre le journaliste Edouard Perrin, à qui ils ont transmis des documents dans le cadre d’une enquête de Cash Investigation. On récapitule.

Octobre 2010

Antoine Deltour, 28 ans, est auditeur depuis deux ans dans le bureau luxembourgeois de PricewaterhouseCoopers (PwC), l’un des quatre plus grands cabinets de conseil au monde. 34 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel. La veille de son départ, il furète sur un serveur interne de l’entreprise, à la recherche de « documents de formation » pour mieux préparer son avenir. Là, par hasard – comme il l’a toujours plaidé –, il tombe sur des centaines de « tax rulings », des accords fiscaux secrets. Le principe est simple : une entreprise qui veut payer moins d’impôts sollicite un cabinet d’audit pour élaborer un montage d’optimisation fiscale, qui est ensuite soumis à l’administration luxembourgeoise. Une manœuvre totalement légale dans le Grand-Duché. Troublé, Deltour copie les documents et quitte PwC.

Mai 2012

Journaliste pour Cash Investigation, Edouard Perrin repère Deltour sur un blog, où l’ancien auditeur poste des commentaires très informés sur l’évasion fiscale luxembourgeoise. Les deux hommes entrent en contact, et Deltour fournit à Perrin les documents de PwC. France 2 diffuse une enquête sur le sujet dans l’émission au mois de mai. Le robinet est ouvert, mais la fuite ne porte pas encore de nom. Après ce premier reportage, un autre salarié de PwC, Raphaël Halet, écrit à Edouard Perrin, affirmant qu’il détient des documents permettant de « dénoncer le scandale fiscal auquel il participe malgré [lui] ». Ils se rencontrent à Metz en octobre 2012, avant d’échanger des documents fiscaux sur une adresse électronique fantôme, opportunément baptisée « centmilledollarsausoleil ». Et Cash Investigation de remettre le couvert en 2013.

5 novembre 2014

L’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) donne le coup d’envoi de ce qu’il convient désormais d’appeler les LuxLeaks : 40 médias internationaux (dont Le Monde en France, le Guardian au Royaume-Uni ou le Süddeutsche Zeitungen Allemagne) révèlent l’évasion fiscale de plus de 300 multinationales, parmi lesquelles Apple, Amazon, Ikea ou Pepsi. L’organisation basée à Washington, qui rassemble près de 200 journalistes dans le monde entier, s’était déjà fait remarquer en publiant les « Offshore Leaks » en avril 2013, soit 2,5 millions de documents sur… l’évasion fiscale. De l’aveu d’Antoine Deltour, c’est le moment où « [il] a perdu le contrôle des documents » : le lanceur d’alerte se défend d’avoir jamais été en contact avec l’ICIJ.

Décembre 2014

Au terme d’un audit interne de PwC et d’une enquête de la police luxembourgeoise, Antoine Deltour est inculpé en décembre 2014, poursuivi pour violation du secret des affaires, complicité de vol domestique et violation du secret professionnel. En avril 2015, c’est au tour d’Edouard Perrin d’être mis en examen par la justice du Grand-Duché, pour vol domestique et blanchiment. Raphaël Halet, dont l’identité n’est pas encore connue, est également visé par la procédure.

14 avril 2016

En plein scandale des Panama Papers, le Parlement européen vote la directive sur le secret des affaires. Si le texte a été légèrement amélioré par rapport à sa version initiale, il n’en reste pas moins redoutable pour le journalisme d’investigation, en inversant la charge de la preuve. Au nom de la lutte contre l’espionnage économique, les entreprises auront désormais le pouvoir de saisir la justice, sur des bases très floues, s’ils estiment que la publication d’une information nuit à leur activité. Dans ces conditions, à charge pour les journalistes de justifier de l’intérêt public de leurs informations… Un texte européen pour protéger les lanceurs d’alerte se fait lui toujours attendre.

26 avril 2016

Le procès LuxLeaks s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Luxembourg. Antoine Deltour encourt jusqu’à dix ans de prison et 1,3 million d’euros d’amende. Confondu par PwC fin 2014 et licencié à l’amiable, Raphaël Halet sort du silencemalgré un accord de confidentialité signé avec l’entreprise : le cabinet d’audit menaçait de lui réclamer 10 millions d’euros de dommages et intérêts si l’envie lui venait de détailler la cuisine interne luxembourgeoise. A la barre, il dénonce « des pratiques [choquantes], qui vont à l’encontre de [ses] valeurs ». Comme le relate Le Monde, PwC a dépêché un huissier à son domicile mosellan après l’avoir identifié : accompagné de gendarmes, celui-ci a inspecté son ordinateur et sa messagerie pour vérifier qu’il ne possédait pas d’autres documents compromettants.

Pendant les audiences, le ton est volontiers inquisiteur. La justice luxembourgeoise sait que, bien au-delà de l’affaire LuxLeaks, c’est le procès de tout un système financier. Mais hors de question de laisser le Grand-Duché se retrouver sur le banc des accusés. Tandis que le procureur tance les « soi-disant lanceurs d’alerte », le commissaire Hayard, qui a coordonné l’enquête de police au Luxembourg, charge Antoine Deltour : « Il était déclaré anticapitaliste […] il suivait l’actualité du site Mediapart ». Et quand on l’interroge sur son enquête, menée (un peu trop) près de PwC, le policier s’en défend, évoquant une « rechercher neutre et objective ».

10 mai 2016

Au terme du procès, le parquet réclame dix-huit mois de prison contre Antoine Deltour et Raphaël Halet, ainsi qu’une simple amende pour Edouard Perrin. Leurs avocats continuent de plaider la relaxe. L’avocat de Deltour, William Bourdon, apostrophe le tribunal et l’invite à « être au rendez-vous de l’Histoire » d’un ton rassurant : « Son acquittement célébrera le Luxembourg comme le meilleur ambassadeur du droit européen […] Vous ne ferez pas fuir les multinationales en acquittant Antoine ».

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