UBS : dans les coulisses d’une fraude fiscale à 10 milliards

Recrutés par UBS, de riches clients français ont caché leur fortune en Suisse. Les circuits étonnants d’une fraude géante.

Parties de chasse, tournois de golf, soirées à l’Opéra, places de choix lors des matchs décisifs à Roland-Garros… Pour séduire en France les avocats, sportifs, hommes d’affaires et autres héritiers, l’#UBS — l’Union des banques suisses — ne lésinait pas sur les moyens. Des invitations prestigieuses pour mettre en confiance ces grandes fortunes et leur vendre plus facilement des produits financiers. Un business bancaire comme un autre. Apparemment, rien d’illégal. Entre 1999 et 2008, entre 80 et 100 manifestations de ce genre ont été organisées. Sauf qu’après plusieurs années d’enquête, la justice soupçonne UBS d’avoir utilisé ces luxueuses réceptions pour, en réalité, convaincre les grandes fortunes françaises d’ouvrir des comptes en Suisse. Et, ainsi, pouvoir y cacher de l’argent non déclaré au fisc.

C’est, en tout cas, ce que décrit le parquet national financier (#PNF ), dans son réquisitoire définitif — un document faisant le résumé de ces années d’enquête — que « le Parisien » – « Aujourd’hui en France » a pu consulter. « Le principal service fourni par UBS AG à ses […] clients résidents fiscaux français […] a été la possibilité de bénéficier du secret fiscal », relèvent les magistrats. Avant de préciser qu’« UBS AG est décrite […] par plusieurs témoins comme une banque ayant fondé son modèle d’affaires sur les comptes non déclarés […]. »

 

Des commerciaux démarchaient dans des soirées prestigieuses

A la manœuvre, des commerciaux suisses envoyés, illégalement, en France pour démarcher, dans les soirées prestigieuses, les riches français. Leur présence sur le territoire était un secret de polichinelle au sein de la banque, comme le confesse aux enquêteurs Jean-Louis de Montesquiou, l’ancien président du directoire d’UBS France :        « Tout le monde me le rapportait, dont les chargés de clientèle. Une dizaine de fois, il est arrivé que des clients me lâchent le morceau en me disant qu’ils avaient rencontré des chargés d’affaires suisses. Même moi, à l’aéroport, j’en ai croisé deux, une fois, en allant chercher mes enfants. » Voilà le genre de témoignages qui ont poussé le parquet national financier à demander un procès pour « démarchage bancaire illicite » et « blanchiment de fraude fiscale ».

Mais pourquoi diable UBS aurait-elle pris le risque d’accompagner une fraude fiscale ? « Cette activité était manifestement très lucrative pour les banques, les marges sur les comptes non déclarés étant bien supérieures à celles sur les comptes déclarés, notent les magistrats. Ayant la garantie que leurs avoirs resteraient dissimulés, les clients d’UBS AG étaient disposés à payer des frais bancaires importants. » L’accusation est lourde. Mais documentée.

Lors de l’instruction, une fonctionnaire de Bercy a révélé un incroyable chiffre : au 30 septembre 2015, environ 4 000 clients d’UBS avaient tapé à la porte du fisc pour régulariser leur situation. Avec dans leurs bagages la bagatelle de 3,77 Mds€ d’avoirs dits « non déclarés » ! Mais combien d’argent français dort encore dans des coffres à Genève ? Difficile à dire. Grâce à divers recoupements, les deux juges d’instruction, Guillaume Daïeff et Serge Tournaire, estiment qu’UBS a géré de 12,2 à 23 Mds€ d’argent français depuis la Suisse. Dont, au minimum, selon les juges, 9,7 Mds€ n’étaient pas déclarés aux autorités françaises. Sollicitée par notre journal, la banque UBS a répondu que « ces allégations sont déjà connues, mais la banque, qui les conteste, conserve inchangée sa position sur le dossier ».

 

Les repères

Années 2000. Des milliers de riches clients ouvrent des comptes en Suisse pour échapper au fisc.

2010. D’anciens salariés d’UBS, comme Stéphanie Gibaud, alertent l’Autorité de contrôle prudentiel.

Février 2012. Le livre « Ces 600 milliards qui manquent à la France » d’Antoine Peillon rend publique l’affaire UBS.

Avril 2012. Une information judiciaire est ouverte contre UBS pour soupçon d’évasion fiscale.

Mai 2013. La filiale française d’UBS est mise en examen pour complicité de démarchage illicite de riches Français.

2014. La justice française impose à UBS une caution de 1,1 Md€ lors de sa mise en examen pour blanchiment aggravé de fraude fiscale.

2016. Réquisitoire définitif du parquet national financier.

Par Boris Cassel et Matthieu Pelloli|01 décembre 2016

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