L’association Jean-Louis-Mégnien a recueilli 200 signalements de personnels soignants « maltraités » au sein de l’hôpital public.
C’est un #professeur de médecine qui gare sa voiture devant l’hôpital et y reste des heures parce qu’il n’est plus le bienvenu dans son service. C’est une biologiste qui, dans un long mail, explique qu’elle tient grâce au Prozac et aux cours d’affirmation de soi auxquels elle vient de s’inscrire.
En six mois, comme eux, 200 médecins, infirmières, soignants, exerçant dans 70 #hôpitauxpublics, ont signalé spontanément à l’association #JeanLouisMégnien qu’ils étaient #harcelés par leur hiérarchie. L’association, née après le suicide il y a bientôt un an du professeur Mégnien au sein de l’hôpital parisien Pompidou, a compilé ces témoignages édifiants, faisant parfois l’objet d’une procédure judiciaire. Ils constituent la première carte de France de la #maltraitance des personnels à l’hôpital, que nous publions en exclusivité.
« Il n’y a aucune volonté de revanche ou de nuisance, explique de sa voix calme le professeur #PhilippeHalimi, chef du service radiologie à Pompidou et président de l’association. Cette carte montre que le cas Mégnien, notre collègue qui a été harcelé, est loin d’être isolé. L’ampleur du phénomène, partout en France, ternit l’image de l’hôpital public et constitue une menace pour son avenir. »
Comment de grands professionnels, des pontes soignant chaque jour nos maux et blessures peuvent-ils être «maltraités» en toute impunité, eux qui paraissent si solides ? Comment leurs chefs, dont la mission est de veiller au bon fonctionnement d’un service… au service des autres, peuvent-ils devenir maltraitants ? La faute revient, selon Philippe Halimi, à un système de gouvernance « reposant sur un directeur et un chef de la commission médicale d’établissement (#CME ) tout-puissants, qui agissent comme des chefs d’entreprise ». Parmi les exemples malheureux qu’il cite, France Télécom, qui a aussi connu son lot de #suicides.
Cette situation, le ministère de la Santé la prend « très au sérieux ». L’association Jean-Louis-Mégnien y a été reçue il y a un mois. « Lors de ce rendez-vous, l’association nous a présenté des situations individuelles qu’elle a qualifiées de sensibles. Le ministère a demandé au Centre national de gestion (CNG) d’instruire sans délai ces dossiers, afin de prendre toutes les mesures nécessaires le cas échéant », précise-t-on dans l’entourage de Marisol Touraine. Dans quelques jours, la ministre de la Santé présentera ses mesures pour « mieux déceler et prévenir les risques psychosociaux à l’hôpital ».
Entre-temps, l’association a créé son site Internet et ne cesse de voir ses adhésions augmenter. « A partir de cette carte qui sera régulièrement actualisée, nous ferons des propositions pour rééquilibrer les pouvoirs au sein de l’hôpital. L’objectif est que les choses s’arrangent », indique Philippe Halimi.
A court terme, un observatoire indépendant de veille pourrait voir le jour, comme un numéro vert pour les médecins en situation de souffrance.
« Le suicide du professeur Mégnien a été un électrochoc »
Depuis le suicide de Jean-Louis Mégnien, lui-même est plus vigilant au sein du service de néphrologie pédiatrique qu’il dirige à Necker, à Paris. Le professeur #RémiSalomon, vice-président de la commission vie hospitalière de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a participé à l’élaboration du plan mis en place après le drame.
L’AP-HP a-t-elle pris la mesure du drame qui s’est passé entre ses murs ?
Rémi Salomon. Dire que rien n’existait avant en matière de prévention serait faux, mais force est de constater que nous n’étions pas très bons. Le suicide du professeur Mégnien a été un électrochoc. Une enquête est en cours, mais Jean-Louis Mégnien était, semble-t-il, dans une situation de harcèlement et il n’est pas le seul dans ce cas. Des #dysfonctionnements existent. Nous avons pris conscience de la nécessité d’agir en profondeur.
De quelle manière ?
Moins de deux semaines après le drame a été mis en place un groupe de travail pour oeuvrer sur la prévention, la détection et le traitement de ce type de situations. Des mesures ont été prises. Avant, les chefs de service étaient investis avant tout pour leurs compétences médicales. Aujourd’hui, nous évaluons leurs compétences en matière de management et de gestion d’équipe. Les formations vont devenir automatiques. Ces critères seront de nouveau pris en compte lors du renouvellement des chefs de service tous les quatre ans.
L’Inspection générale des affaires sociales (#Igas ) vous a recommandé de mettre en place une charte de bonnes pratiques. Où en êtes-vous ?
Nous y mettons le point final. Les praticiens hospitaliers bénéficieront de temps d’écoute — et non d’évaluation — formalisés avec leur chef de service. Nous souhaitons également favoriser la mobilité, très peu valorisée aujourd’hui alors qu’elle permet d’éviter les tensions et le sentiment d’abandon.
Beaucoup aujourd’hui n’osent pas parler…
C’est pour cela que nous voulons renforcer la médecine du travail. Moins de 10 % des médecins de l’#APHP la consultent, alors qu’elle peut détecter des situations de #conflit, mais aussi de mal-être, de burn-out… Des consultations en dehors des murs de l’hôpital sont envisagées pour ceux qui voudraient rester discrets.
Certains médecins se disent toujours harcelés…
Nos mesures se mettent en place de manière rigoureuse et transparente. Tout cela prend du temps. Nous voulons promouvoir la médiation, mais nous n’excluons pas que le mandat d’un chef de service ne soit pas renouvelé s’il s’avère être responsable de la #souffrance d’un membre de son équipe.