Nicole-Marie Meyer : “La loi Sapin 2 est une très grande avancée pour les lanceurs d’alerte”

Nicole-Marie Meyer a été chassée du ministère des Affaires étrangères pour avoir signalé, en interne et à plusieurs reprises, des malversations au sein du Quai d’Orsay. Depuis, elle combat en faveur de la protection des lanceurs d’alerte en tant que responsable de l’alerte éthique pour l’ONG Transparency International. Très impliquée dans les mesures de la loi Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, elle considère le texte définitif comme une grande victoire. Entretien.

Le Lanceur : La loi Sapin 2, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale, comprend un volet sur la protection des lanceurs d’alerte. Seront-ils désormais protégés en France ?

Nicole-Marie Meyer : Tout notre combat depuis le mois d’avril consistait à pouvoir obtenir la majorité des dispositions de la loi #Galut déposée au Parlement en mars dernier. Nous voulions une définition globale et large du #lanceurdalerte. Utiliser les termes de “menace et préjudice grave pour l’intérêt général” permet d’inclure des personnes comme #AntoineDeltour [à l’origine de la révélation des #Luxleaks, des centaines d’accords fiscaux entre le fisc luxembourgeois et des multinationales qui confirment un système d’optimisation fiscale à grande échelle, NdlR]. Ces lanceurs n’alertent pas sur des infractions pénales ni sur des risques graves pour la santé, la sécurité ou l’environnement, mais ils font partie de cette zone grise qu’est l’optimisation fiscale agressive, une pratique qui n’est pas encore illégale mais qui pourrait le devenir.

La France a-t-elle rattrapé son retard en termes de législation pour lutter contre la corruption et protéger les lanceurs d’alerte ?

Dans le monde, il existe 60 législations et 12 lois globales. Depuis 1978, les définitions des lanceurs d’alerte énumèrent un certain nombre de signalements protégés ; cela va de 5 signalements protégés aux États-Unis en 1978 à 19 signalements protégés au Ghana ou en Jamaïque. Mais, dans ces législations, un cas comme celui d’Antoine Deltour ne rentrerait dans aucun des signalements. En 2014, le Conseil de l’Europe a fait le corpus théorique le plus avancé qui existe, en étudiant tout ce qu’il s’était passé ailleurs. Et si, en Europe, nous avons tardé à nous saisir de ces questions, au moins vingt-cinq ans après certains, nous avons de fait bénéficié d’une certaine profondeur de champ. Le 30 avril 2014, le comité des ministres a fait une recommandation aux États membres de l’UE où pour la première fois ils utilisaient les termes de “menace ou préjudice pour l’intérêt général”, ce qui peut englober tout, même ce que l’on n’a pas encore vu ou pressenti et qui peut affecter l’intérêt général. En France, nous serons les premiers à adopter la définition du lanceur d’alerte du Conseil de l’Europe, qui est actuellement la plus ouverte au monde. Nous avons aussi innové avec l’avance des frais de procédure et le soutien financier aux lanceurs d’alerte en cas de besoin, ce qui est énorme.

Les quatre piliers demandés par les ONG sont dans le texte”

D’autres dispositions de la loi permettent-elles d’aller plus loin que les autres législations en vigueur ?

Le Parlement français est sorti du contexte du travail pour les lanceurs d’alerte et ça c’est aussi une première mondiale. Les autres définitions sont toutes “dans le cadre du travail”. L’intérêt du Conseil de l’Europe, c’est qu’il avait utilisé les termes de “contexte de la relation de travail”, afin de garder la base du droit du travail mais aussi d’ouvrir au maximum, ce qui permet d’inclure les stagiaires, les bénévoles, les anciens employés, les contractants, les fournisseurs, les chercheurs indépendants, etc. Nous avons aussi obtenu quelque chose que personne au monde n’a mis en place : l’avance des frais de procédure et le soutien financier pour le lanceur d’alerte. Personne ne l’a fait avant. Il y a donc un statut global et trois points pionniers par rapport aux législations mondiales et européennes. Les quatre piliers demandés par les ONG sont dans le texte, à savoir une définition large du lanceur d’alerte, une annulation de toutes les mesures de représailles, un soutien financier pour le lanceur d’alerte en difficulté et des sanctions civiles et pénales contre les auteurs de représailles. C’était fondamental et c’est une grande victoire. Ce dispositif est équilibré, parce qu’il y a aussi la protection de l’identité, autant celle du lanceur d’alerte que celle de la personne mise en cause, ce qui est logique. Le texte instaure également des sanctions pénales pour délit d’entrave au signalement, c’est tout à fait remarquable. La sanction pour procédure abusive a aussi été multipliée par deux si c’est contre un lanceur d’alerte, car on sait très bien qu’il existe ce qu’on appelle les procès “bâillon” : les cascades de procès pour faire taire. On peut toujours beaucoup mieux faire, mais ce texte est une très grande avancée pour les ONG et les lanceurs d’alerte, car c’est la société civile qui a demandé cela et qui est montée au créneau.

Quelles mesures souhaitées par les ONG n’ont pas été obtenues ?

Les réserves ou les regrets que nous avons sont sur le fait que le défenseur des droits ne puisse pas être immédiatement saisi par un lanceur d’alerte. La première voie de recours pour lancer une alerte est la voie interne : les supérieurs hiérarchiques directs ou indirects, le référent ou l’employeur. Pour cela, les douze lois globales qui existent dans le monde ont fait la même chose. Le but est de déclencher un cercle vertueux, c’est-à-dire de permettre à l’organisation, avant que sa réputation ne soit détruite, notamment par un concurrent qui voudrait un marché, de se redresser et de se réguler elle-même en premier lieu. Nous avions demandé que les parlementaires, les instances représentatives du personnel ou les organisations syndicales puissent aussi être alertés d’abord, mais nous ne l’avons pas obtenu. En revanche, le ministre a dit qu’en l’absence de diligence de la part de l’entreprise le lanceur d’alerte peut s’adresser au stade supérieur, à savoir l’autorité administrative ou judiciaire. Nous aurions voulu la saisine directe du défenseur des droits, comme pour les autres compétences qu’il a, c’est-à-dire les droits de l’enfant, les discriminations ou la déontologie du renseignement. Là, pour l’alerte, il faut passer par la voie interne, la hiérarchie. Et c’est seulement si la voie interne ne fonctionne pas qu’il est possible de faire appel au défenseur des droits.

« Dans les pays qui n’ont pas de législation et de cadre protecteur pour les lanceurs d’alerte,

les gens se taisent”

 

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10 novembre 2016  Par Mathilde Régis

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