« Au cœur du CETA », épisode 3 : CETA et climat font-ils bon ménage ?

« Le Monde » et le site allemand Correctiv se plongent dans l’accord conclu le 30 octobre entre l’Union européenne et le Canada. Ils se concentrent, cette fois, sur les questions qu’il pourrait poser dans la lutte contre le réchauffement climatique.

« Au cœur du CETA »

En créant de potentiels obstacles juridiques à la régulation et en augmentant possiblement les émissions de gaz à effet de serre au Canada, l’accord commercial CETA entre l’Union européenne et le Canada pourrait poser de sérieux problèmes dans la lutte contre le réchauffement climatique.

A. Les sables bitumineux, passager clandestin du CETA ?

LE PROBLÈME

Le CETA est critiqué car il pourrait permettre de nouveaux investissements dans les sables bitumineux canadiens qui non seulement augmenteraient les émissions de gaz à effet de serre mais pourraient stimuler l’importation de ce pétrole très énergivore et peu écologique en Europe.

C’EST PEU PROBABLE

L’étude d’impact publié en 2011 par la Commission européenne affirmait que le CETA pourrait stimuler les investissements européens dans les sables bitumineux de la province canadienne de l’Alberta. Plusieurs dispositions du traité ont été avancées pour justifier ces craintes, mais leur impact minimum et l’état actuel du marché pétrolier rendent cette prévision pour le moins incertaine. Explications.

Deux dispositions présentes dans le texte de l’accord ont soulevé des interrogations :

  • L’engagement du Canada à réformer sa loi sur les investissements étrangers dès que le CETA entrera en vigueur. En clair, il s’agira de relever le seuil au-dessous duquel un investisseur étranger peut prendre une part majoritaire au capital d’une entreprise canadienne sans demander une autorisation des autorités. Ce seuil sera relevé de 1 milliard à 1,5 milliard de dollars canadiens. Mais les capitaux des géants pétroliers canadiens exploitant les sables bitumineux sont bien au-dessus de ce seuil et restent assez protégés des prises de contrôle étrangères.
  • L’assouplissement de la mobilité pour les travailleurs étrangers au Canada. L’article 7 du chapitre 10 sur la mobilité des travailleurs prévoit par exemple de rallonger de trois mois à trois ans la durée de séjour pour certains cadres expérimentés étrangers, sans obligation de demander un visa. Il sera donc théoriquement plus facile pour les entreprises pétrolières étrangères, comme le français Total, de faire venir du personnel. Mais cela n’aura que peu d’impact sur la production ou l’exportation des produits pétroliers.

A l’automne 2014, l’épisode de la directive européenne sur la qualité des carburants a pourtant fait réagir les défenseurs de l’environnement, comme le relate l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory, hostile au CETA :

« Le gouvernement canadien a travaillé pendant des années au service des entreprises pétrolières et gazières canadiennes pour assouplir la directive européenne sur la qualité des carburants. Cette directive était censée prendre en compte l’empreinte écologique des produits pétroliers issus des sables bitumineux canadiens, dont l’extraction et la production nécessitent davantage d’énergie. Après des années de bataille, la directive émise par la Commission européenne [le 7 octobre 2014] reconnaît que l’empreinte carbone de ce pétrole était plus importante, mais n’impose toutefois pas aux entreprises européennes de déclarer la part des pétroles non conventionnels dans leurs importations. Finalement, le système ne pénalise ni ne décourage plus les entreprises d’investir ou d’importer des produits issus des sables bitumineux. »

Malgré cela, l’état actuel du marché du pétrole rend très compliqué et incertain l’avenir de l’exploitation des sables bitumineux au Canada. Le coût exorbitant des infrastructures nécessaires pour extraire ce pétrole du sable ne permet aux exploitations actuelles d’être rentables qu’à un prix minimum du baril autour de 70-80 dollars américains – bien au-dessus de son niveau actuel, à 50 dollars. Une hausse du cours du pétrole est difficile à prévoir car la demande mondiale ralentit en même temps que la croissance chinoise, qui a agi en véritable moteur de la croissance mondiale.

Il est donc, pour l’instant, très difficile, voire impossible, d’affirmer que le CETA suffira à importer davantage de pétrole canadien.

B. Les politiques climatiques pourront-elles être attaquées par les entreprises ?

LE PROBLÈME

Le mécanisme de cour des investissements (Investment Court System, ICS) introduit par le CETA est critiqué car il pourrait permettre aux entreprises de contester des politiques climatiques d’intérêt public si elles contreviennent à leurs intérêts.

Lire notre décryptage :   « Au cœur du CETA », épisode 1 : les tribunaux d’arbitrage menacent-ils la démocratie ?

C’EST POSSIBLE

Le droit des Etats de mettre en place des politiques d’intérêt public « légitimes » telles que « la protection de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement » est bien présent, à la fois dans le texte du CETA1 et dans la déclaration interprétative adjointe tardivement au traité.

Une manière de répondre à la multiplication ces dernières années des procédures en arbitrage lancées contre des décisions publiques environnementales – à l’image de l’affaire Vattenfall, du nom de la société suédoise d’énergie qui s’est tournée en 2012 vers un tribunal de ce type pour réclamer 4,7 milliards de dollars au gouvernement allemand, en compensation de la fermeture de ses deux centrales nucléaires, consécutive à la décision d’Angela Merkel d’abandonner l’énergie nucléaire, après l’accident de Fukushima (la procédure est toujours en cours).

Malgré les garde-fous, le CETA précise que peuvent être contestées les décisions des Etats qui enfreignent le « traitement juste et équitable » constituent une « expropriation indirecte » d’une entreprise ou frustrent leurs « attentes légitimes » en leur faisant des « déclarations spécifiques » pour les inciter à investir2.

En somme, les politiques environnementales ne pourraient être contestées en elles-mêmes, mais parce qu’elles sont discriminatoires à l’égard d’un acteur ou qu’elles violent des engagements passés d’un gouvernement.

A cet égard, on peut se demander si les juges du CETA n’auraient pas pu condamner le gouvernement français pour avoir interdit, en 2011, la fracturation hydraulique dans l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste, et avoir invalidé des permis miniers précédemment accordés à des pétroliers…

La seule manière de se prémunir contre ce type de procédure et de se mettre hors de portée de la libre interprétation des juges est d’exclure clairement certains secteurs du champ d’application du système d’arbitrage ICS. C’est le cas, dans le CETA, pour toutes les politiques liées aux subventions3 ou à la stabilité financière4. Mais pas des politiques visant à réduire les gaz à effet de serre, contrairement à ce qu’avait recommandé le Parlement européen en 20155.

Les Etats ont également la possibilité de se prémunir individuellement contre des risques d’attaques en prenant des réserves nationales dans les annexes I et II du texte. Mais sur les neuf pays interdisant la fracturation hydraulique, seule la Bulgarie a pris cette précaution. Sollicité par Le Monde, le ministre de l’environnement français n’a pas donné suite aux demandes d’explication sur cet « oubli » français.

 

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LE MONDE | | Par Gary Dagorn et Maxime Vaudan

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