Pourquoi le statut de lanceur d’alerte sera difficile à obtenir

La loi Sapin 2 instituera officiellement un statut du lanceur d’alerte et une protection à ce dernier. Mais cette réforme longtemps attendue risque de décevoir.

Les députés ont été influencés par les sénateurs. Lorsqu’ils ont examiné le projet de #loiSapin2 en deuxième lecture fin septembre, ils ont remanié le volet sur la protection des lanceurs d’alerte, dans le sens voulu par leurs confrères de la chambre haute. Au final, le statut de #lanceurdalerte pourrait être bien difficile à obtenir.

Les lanceurs d’alerte sont ces salariés qui révèlent #crimes et #délits commis par leur entreprise, souvent au péril de leur carrière. A l’instar d’#AntoineDeltour (affaire #Luxleaks ), qui avait fourni à la presse des documents révélant des accords entre le fisc luxembourgeois et certaines #multinationales, ou de #StéphanieGibaud, qui avait dénoncé les actes d’évasion fiscale d’#UBS.

Formulations pièges 

A première vue, pas de changement majeur dans la mouture adoptée le 29 septembre au Palais Bourbon. Mais le diable se cache dans les détails, comme l’ont démontré à l’occasion d’une rencontre avec l’Ajis*, le 7 octobre, les avocats en droit social Patrick Thiébart, du cabinet Jeantet (défenseur des employeurs), et Béatrice Bursztein, de LBBa (côté salariés et syndicats).

Selon le texte voté, le lanceur d’alerte devrait être une personne « physique ». Les parlementaires empêchent ainsi toute personne morale, et notamment une institution représentative du personnel, de se prévaloir du statut.

Il faudrait aussi que cette personne soit « désintéressée » et de « bonne foi ». Une brèche dans laquelle la partie adverse ne manquera pas de s’engouffrer. Elle aura tout loisir de mettre en lumière des éléments prouvant que l’intéressé ne l’était pas. Par exemple qu’il était en désaccord avec des personnes de l’entreprise a voulu leur nuire, ou qu’il a fait du chantage pour négocier son départ en mettant dans la balance le fait qu’il avait un « dossier » sur l’entreprise. « En Angleterre, où il y a une législation sur le sujet depuis 1998, on a supprimé la notion de bonne foi en 2013. Ce qui importe, c’est de savoir si les allégations sont vraies ou fausses, c’est tout », remarque Patrick Thiébart.

Le projet de #loiSapin2 instaure aussi la nécessité d’oeuvrer, par sa dénonciation, à l’#intérêtgénéral. Une notion pas si limpide. « Une somme d’intérêts particuliers risque de ne pas constituer un tel intérêt général », pointe l’avocat. Ainsi, un cadre qui dénoncerait la façon illégale dont sont calculés les bonus dans sa société ne se verrait pas accorder la #protection du #lanceurdalerte.

Autre ajout des députés : le fait que la personne doive avoir eu « personnellement connaissance » des faits. Une formulation un peu vague qui là encore, laisse tout loisir aux juristes d’affûter des arguments visant à refuser le statut.

Protection de pacotille

Les députés ont également introduit des #restrictions à la protection accordée au whistleblower. Si le Défenseur des droits devrait pouvoir accorder au lanceur d’alerte une #aidefinancière, elle n’aurait rien d’automatique. Il pourrait la lui refuser « lorsque les faits n’ont pas été signalés » selon le processus en gradation prévu par la loi (d’abord au supérieur hiérarchique direct ou indirect, à l’employeur ou au référent désigné par celui-ci, puis, sans réponse, à la justice et aux ordre professionnels et enfin, en dernier lieu, au grand public). Il pourrait aussi la diminuer « de la fraction des frais de procédure pris en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ».

Au final, la loi telle qu’elle se dessine mettrait en place une #coursedobstacles, pour peu de garanties. La Cour de cassation jouera, comme souvent, un rôle crucial dans son interprétation.

Le texte doit encore passer en seconde lecture au Sénat – selon un calendrier qui sera connu le 12 octobre, puis retourner à l’Assemblée. D’ici là, la réforme « n’entraînera pas des hordes de salariés dénonçant des faits frauduleux », ironise Patrick Thiébart.

« De toute façon, la réforme ne changera rien à la réalité des choses, à savoir que, pour un lanceur d’alerte, voir son licenciement pour faute annulé n’est pas en soit, une protection, appelle Béatrice Bursztein. Le « mal » est fait, en effet, et difficile d’imaginer une réintégration dans l’entreprise. Et il sera par ailleurs toujours aussi compliqué, après s’être engagé dans une telle démarche de dénonciation, de retrouver un emploi.

*Association des journalistes de l’information sociale

 

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