Sapin 2 : Macron ministre relaie les intérêts des majors du BTP

Au détour de la loi Sapin 2, censée lutter contre la corruption et l’évasion fiscale, Emmanuel Macron a introduit discrètement la ratification de l’ordonnance sur la réforme du code des marchés publics. Officiellement, il s’agit de mettre les textes français en accord avec la directive européenne et de favoriser l’accès des PME à la commande publique. Dans les faits, le gouvernement déroule un tapis rouge à Vinci, Bouygues, Eiffage et quelques autres. 

Toute l’attention était fixée, ce mardi 6 juillet, sur l’Assemblée nationale : pour la deuxième fois, le premier ministre Manuel Valls engageait le 49-3 pour faire adopter la loi travail. Au même moment, un autre débat se tenait au #Sénat, dans la plus totale #confidentialité : le ministre de l’économie #EmmanuelMacron y défendait ses propositions discrètement introduites dans le projet de loi #Sapin2. Des propositions énormes, passées complètement #inaperçues : il ne s’agissait rien de moins que de faire #ratifier les ordonnances modifiant le code des #marchéspublics et les régimes des concessions et des partenariats public-privé (#PPP).

La commande publique constitue un immense levier de l’action publique en France. Sa portée est à la fois économique, politique et morale. Elle représente chaque année plus de 350 milliards d’euros, soit 15 % du PIB. C’est aussi le principal moteur des investissements en France : le public – collectivités et État confondus – y détient une part prépondérante. Comment le gouvernement a-t-il osé réformer de tels sujets, en excluant tout contrôle législatif, tout débat public ? D’autant que – la justice n’a pu qu’en faire mille fois le constat – les marchés publics sont les principaux foyers de la #corruption politique.

La multiplication des #scandales et des #affaires avait été à l’origine de la loi Sapin 1. La loi Sapin 2 est censée s’inscrire dans ce prolongement. Les textes du projet se veulent être des armes en faveur de la #transparence, contre la #corruption et l’#évasionfiscale. Tout au long du débat parlementaire, le ministre des finances n’a cessé de mettre en avant les nouvelles dispositions de l’État pour mieux protéger les #lanceursdalerte et pourchasser les #fraudeurs fiscaux. Était-ce pour mieux cacher tout le reste, et notamment toutes les dispositions concoctées par Emmanuel #Macron ?

Marqué par le sceau du 49-3 lors de sa première loi de modernisation de l’économie en 2015, le ministre de l’économie s’est vu refuser par Matignon la possibilité de présenter une deuxième loi à son nom. À défaut, il a accepté de s’effacer en apparence, et a opté pour la #stratégieducoucou : il a incrusté ses textes chez les autres.

Certains de ses sujets de prédilection, comme l’encadrement des licenciements économiques ou le plafonnement des indemnités prudhommales, se sont retrouvés inclus dans la loi travail. D’autres, comme l’abrogation des diplômes pour certains métiers artisanaux, le changement de règles entre fournisseurs et #grandedistribution, ou les assureurs mutualistes, se retrouvent dans le projet de loi Sapin 2, au nom de la modernisation de l’économie bien sûr. C’est par le même biais que la réforme du code des marchés publics s’est retrouvée incluse dans le texte. Tout cela fait un texte totalement #illisible, « voiture-balai » des dispositions gouvernementales, comme l’ont dénoncé plusieurs parlementaires, mettant en miettes par sa #confusion le principe même de la loi.

Pour les marchés publics, le gouvernement ne s’embarrasse même plus de la #loi puisqu’il a décidé de tout faire par #ordonnances. Il demande juste au parlement de ratifier sans discussion tout ce qui a été concocté dans les coulisses par le cabinet, l’administration et quelques #lobbyistes au fait des questions, afin de donner au texte un caractère législatif et non plus réglementaire.

L’utilisation de ce dispositif était considérée pendant longtemps comme exceptionnelle, à manipuler avec autant de circonspection que le 49-3. Lorsque Georges Pompidou avait eu recours aux ordonnances pour réformer la Sécurité sociale en 1967,  toute la gauche était montée au créneau pour dénoncer la dépossession des législateurs face à l’exécutif et à l’administration. En 1986, les ordonnances sur les privatisations avaient donné lieu à un bras de fer serré entre François Mitterrand et son premier ministre Jacques Chirac. La gauche parlait alors de coup de force contre la représentation nationale.

Depuis les années 2000, le recours aux ordonnances est devenu une facilité gouvernementale pour ne pas s’encombrer des lenteurs parlementaires, et transposer sans encombre, sans débat, à toute vitesse les directives européennes. Les premiers ministres de droite en ont usé et abusé. Le gouvernement de gauche emprunte allégrement le même chemin : quinze recours aux ordonnances sont inscrits dans le seul projet de loi Sapin 2.

C’est au nom de l’urgence et de l’efficacité que le gouvernement a justifié le recours aux ordonnances pour réécrire le code des marchés publics. Le gouvernement se devait de transposer en toute hâte la directive européenne sur les marchés publics. « J’appelle votre attention sur l’urgence de cette ratification […] Le Conseil d’État a persuadé la commission de la nécessité d’une ratification très rapide pour éviter de graves difficultés juridiques dans certaines situations »insistait ainsi Michel Sapin le 9 juin à l’Assemblée nationale.

« Par principe, je suis opposé au recours aux ordonnances. Dans ce cas précis du code des marchés publics, je le suis encore plus. Le débat parlementaire devait avoir lieu. Il avait largement le temps de se tenir », dit le sénateur (PC) Éric Bocquet. Il s’en est fallu de deux mois pour que l’autorisation à légiférer par ordonnance ne devienne caduque, le gouvernement ayant mis plus d’un an à réécrire le code, comme celui-là n’a pas manqué de le relever, lors de cette séance du 6 juillet.

Face aux sénateurs, Emmanuel Macron a défendu la position avec les arguments qui semblent devenus la seule boussole politique : l’allégement, la suppression des contraintes, la simplification. « Les vingt textes régissant la commande publique ont été rassemblés dans deux ordonnances, dédiées respectivement aux marchés publics et aux contrats de concession, ce qui a permis d’aboutir à une réduction de 40 % du volume des règles applicables en la matière. Cela signifie concrètement la suppression de 40 % des textes de nature législative et réglementaire sur ce sujet ! » a expliqué Emmanuel Macron devant le Sénat. Tout cela, comme il se doit, a été entrepris dans le dessein de défendre les PME, l’emploi local.

L’ennui est que la révision du code des marchés publics entreprise par le gouvernement semble aller dans un tout autre sens. Depuis des années, des parlementaires, de droite comme de gauche, se battent pour que l’attribution des contrats publics par lots devienne la règle : les PME et les artisans, qui sont exclus de 80 % de la commande publique, auraient ainsi plus de facilité à concourir face aux grands groupes, selon eux. La transparence et le contrôle des coûts en seraient aussi plus aisés. La directive européenne sur les marchés publics s’inscrit dans le même esprit : elle permet à chaque État membre de rendre le principe de l’allotissement obligatoire.

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12 JUILLET 2016 | PAR MARTINE ORANGE

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