«En cassant le secret, WikiLeaks montre qu’il faut renverser la dissimulation imposée par les technologies de pouvoir»

Hier 19 juin, l’Institut de recherche et d’innovation (IRI), Ars Industrialis – deux associations fondées par Bernard Stiegler – et «Libération» ont organisé une soirée de soutien et de débat à l’occasion du 4e anniversaire de l’enfermement de Julian Assange. Le philosophe explique en quoi WikiLeaks incarne pour lui «le courage de la vérité».

L’acte inouï par lequel Julian Assange, Chelsea Manning et WikiLeaks ont bouleversé la géopolitique planétaire a ouvert l’ère des «lanceurs d’alerte» – d’Edward Snowden révélant les pratiques complices de la NSA et des plateformes à Antoine Deltour et Raphaël Halet mettant au jour l’évasion fiscale organisée par un Etat, et tant d’autres démarches qui se sont multipliées dans un contexte caractérisé par l’exacerbation des inégalités et des asymétries.

Avec Assange et les wikis ainsi pratiqués, la question des régimes de vérité et des formes de véridiction que posait Michel Foucault se présente dans des termes tout à fait nouveaux. Alertes et révélations réactivent les paradoxes et les enjeux de la transparence et du secret, du pouvoir et du savoir, de l’asymétrie d’information et de la constitution de la chose publique, de l’honnêteté du débat et de la confiance, c’est-à-dire de la sécurité, du «hacking» et des conditions de possibilité de la vie politique à l’époque de la data economy.

En permettant au capitalisme devenu purement computationnel d’imposer ses formats et critères de sélection et de publication des traces, qui sont autant de pratiques de dissimulation et d’annihilation au service du nihilisme automatisé, la réticulation permanente et généralisée a instauré ce qu’Antoinette Rouvroy a appelé la gouvernementalité algorithmique. Celle-ci redistribue souterrainement mais de fond en comble les conditions les plus élémentaires du pouvoir et du savoir en prenant de vitesse le droit au sens des juristes et des législateurs, mais aussi au sens des philosophes et des scientifiques qui étudient et transforment le monde en droit, et non seulement en fait. Avec le droit par où s’énoncent des lois en toute discipline, la gouvernermentalité algorithmique devenue intrinsèquement disruptive ruine les régimes de vérité sans lesquels il ne peut y avoir ni légitimité, ni paix.

Julian Assange est soumis à ce que l’ONU a appelé une «détention arbitraire» parce qu’il retourne ces technologies de pouvoir pour en faire un processus de véridiction : la publication de leaks est une forme de parrêsia, par où se manifestent au 21e siècle le «franc parler» et le «courage de la vérité» auxquels Foucault consacra ses deux derniers séminaires. En cassant le secret, WikiLeaks montre qu’il faut renverser la dissimulation systémique imposée par les technologies de pouvoir au service du faire savoir, et par une pratique réfléchie des wikis.

Ce sont ces questions qu’une véritable politique, porteuse d’un nouveau droit, exige de voir traitées de nos jours pour reconstituer la chose publique à l’époque des sociétés d’hypercontrôle où les stratégies disruptives creusent systématiquement et exploitent méthodiquement les vides juridiques et théoriques.

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