Dans la finance en France, le signalement par des salariés d’agissements illégaux ou illicites dans l’entreprise reste un sujet complexe et sensible.
Certains disent de moi que je suis le grain de sable qui enraye le système, raconte Ida de Chavagnac, 47 ans, ancienne analyste de risques de contreparties chez Crédit Agricole Corporate & Investment Bank (CA CIB). Tout a commencé en mars 2010, quand mon nouveau N+1 m’a empêchée de présenter certains avis restrictifs ou négatifs dans une analyse sur Axa. J’ai découvert des mois plus tard qu’il avait présenté cette analyse à la direction en occultant des éléments de risque et en remplaçant tous mes avis par des avis favorables. Au fur et à mesure, nos désaccords sur mes avis se sont multipliés. Face à ma résistance, mon N+1 a tenté de me corrompre. Lors de mon entretien d’évaluation en 2012, il m’a demandé de prendre davantage en compte les intérêts des services commerciaux dans mes décisions de risque. Il l’a même écrit dans le compte-rendu d’évaluation. Or cette injonction est contraire à la déontologie de ma fonction qui requiert l’indépendance de l’analyste. » En 2013, elle fait part de ses inquiétudes à sa hiérarchie et rencontre le N+3 de la banque. « Lors de nos entretiens, ce dernier ne m’a jamais répondu sur le fond du problème. Il s’est contenté de me dire qu’il faisait toujours confiance à mon N+1. » Elle écrit ensuite au directeur général adjoint. « Il n’a pas voulu me recevoir. Dix jours après, je recevais ma lettre de licenciement pour faute, ma faute étant d’avoir ‘proféré des accusations graves contre ma hiérarchie’, poursuit l’ex-salariée de CA CIB. Je ne m’attendais pas à être licenciée. J’étais persuadée que mon alerte était imparable puisque j’avais respecté toutes les étapes et qu’elle avait été parfaitement officielle et transparente. En effet, dans la convention collective du Crédit Agricole, le droit d’alerte est prévu et il faut l’effectuer auprès de sa hiérarchie. Pour moi, cette alerte était plus qu’un droit, c’était un devoir. » A présent, deux procédures sont en cours. Aux prud’hommes, qui ne rendront leur jugement qu’en 2017, Ida de Chavagnac demande la nullité de son licenciement au sens de la loi du 6 décembre 2013 (lire aussi l’entretien) et sa réintégration au sein de la banque. Elle ne réclame pas de compensation financière. Elle a aussi porté plainte au pénal en juin 2014 pour corruption et tentative de corruption : une enquête préliminaire est en cours à la brigade financière. De son côté, la banque conteste les affirmations de son ancienne analyste et « refuse de commenter les affaires en cours ».
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